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La manipulation sémantique pour imposer un « droit à l’avortement »


« L’avantage de la manipulation sémantique est évident : le piège tendu est imparable. La société entière va être investie, et un nouveau langage va lui être transfusé. Cette manipulation du langage est l’instrument indolore d’un retournement psychologique quasiment imperceptible. Elle est aussi le passage obligé vers une reprogrammation, au terme de laquelle les gens continueront de penser et de vouloir, mais d’une pensée et d’un vouloir étrangers à eux-mêmes. » (Michel Schooyens)

De même que le suicide assisté est aujourd’hui défini au Luxembourg comme « mort naturelle » (ce qu’il n’est évidemment point si les mots ont une signification), l’avortement s’accompagne d’un jargon tellement euphémique et biaisé qu’on devine le besoin inavoué et peut-être inconscient de ses promoteurs de se voiler la face devant l’horrible réalité qu’il représente. Ou pire, de le faire à dessein.

Ce qui pour Simone Veil eût été inimaginable, devient réalité, et cela au niveau du Parlement Européen qui s’apprête à établir, avec le rapport Matic, un « droit à l’avortement », à abolir la liberté de conscience du personnel médical, à réduire au silence les personnes et organisations qui s’engagent pour la protection de la vie naissante et le soutien des femmes enceintes en difficulté.

Or, dans aucune déclaration des Droits de l’Homme, l’avortement ne figure comme un droit, alors que le droit à la vie y est partout fondamental. La Déclaration des droits de l’enfant réclame explicitement une protection « avant et après la naissance » (Préambule).

Pour comprendre ces dérives, il faudrait se lancer dans une analyse complexe. Concentrons-nous ici sur un aspect capital, à savoir la manipulation du langage, qu’on retrouve aussi dans le rapport Matic qui sera très bientôt soumis au PE.

L’avortement est officiellement désigné comme IVG, « interruption volontaire de la grossesse ». Or, les trois mots induisent en erreur, ou du moins ne correspondent pas entièrement à la réalité. Une interruption est un arrêt provisoire, une pause qui implique une reprise. Dans le cas de l’avortement, il s’agit d’un arrêt définitif, irréversible. Il faudrait donc parler d’une cessation. Cette cessation est « volontaire », dans la mesure où la femme donne son consentement formel à l’intervention mettant un terme à la vie de l’enfant à naître. Toutefois, le terme « volontaire » occulte très souvent la pression qu’exerce son entourage (partenaire, patron, parents, situation sociale, médecin, assistant(e) social(e), etc.), de sorte que son choix est fortement influencé, orienté, limité, voire nul. Le terme

« grossesse » est certes correct, mais il exprime un état, et passe sous silence l’être vivant qui va être supprimé. Nous avons donc affaire à un euphémisme destiné à minimiser, à banaliser l’acte de l’avortement. Qui plus est, l’emploi systématique du sigle « IVG » en cache la signification et sonne comme un acte médical ordinaire et rapide, au même titre que l’ECG par exemple.

On m’a rétorqué que le terme « enfant non encore né » ou « enfant à naître » n’est pas correct non plus, puisqu’un embryon ou un fétus (termes techniques) ne seraient pas des

enfants, ni des personnes. Pour ma part, je me réfère à l’étymologie du mot « enfant » (in- fans): celui ou celle qui ne sait pas parler. N’est-ce pas le cas, de manière on ne peut plus claire, d’un être non encore sorti de l’utérus ? D’où d’ailleurs le titre éloquent du fameux documentaire sur l’avortement « Le cri muet ».

Pour déshumaniser l’enfant à naître, les défenseurs du « droit à l’avortement » affirment que l’embryon ne serait qu’un « amas de cellules ». Une fois de plus, ce terme est scientifiquement incorrect, tronqué. Ne sommes-nous alors pas tous des amas de cellules ? En vérité, le petit corps est un être humain parfaitement ordonné, extrêmement dynamique dans sa croissance, doté de son ADN, de son code génétique unique, de son propre groupe sanguin, voire d’un cœur qui bat au bout de trois semaines après la fécondation …. Le mot

« amas » suggère quelque chose de difforme, de désordonné, ce qui n’est manifestement pas le cas. Le zygote n’est pas un chaos, mais un cosmos.

Chez des médecins comme chez des juristes (p.ex. au Conseil d’Etat), on trouve souvent l’expression « contenu utérin ». Le terme n’est pas faux, mais n’étant pas très informatif, il occulte de quoi ou plutôt de qui il s’agit vraiment. Le liquide amniotique est aussi un contenu utérin.

Au niveau de l’ONU, de l’OMS, de l’UE et de nombreuses organisations féministes, on a forgé le concept de « la santé sexuelle et reproductive », ou des « droits sexuels et reproductifs » de la femme. Cela veut dire que chacun/e doit pouvoir décider de sa sexualité, voire de son genre; en matière de « reproduction », les individus décident librement du nombre d’enfants, de l’espacement des naissances, mais aussi de la non-reproduction (avortement, stérilisation). L’avortement devient ainsi un acte de santé.

Or, associer l’avortement à la santé est certainement un non-sens total pour l’être humain supprimé, et très discutable pour la santé physique et psychique de la femme concernée. Une grossesse n’est pas une maladie, et sa cessation n’est pas un acte de santé. Il est vrai qu’un avortement fait dans des conditions hygiéniques par des professionnels (« safe abortion ») est préférable à un avortement clandestin. Reste qu’il n’est pas « safe » pour la petite victime.

Le terme « reproductif » perd évidemment son sens en cas d’avortement. Par ailleurs, même si l’enfant naît, il n’est pas approprié, puisque la fécondation et la naissance relèvent de la procréation (étymologiquement : créer à la place de …, en fait à la place ou pour le compte du Créateur). En effet, une reproduction stricto sensu serait une production à l’identique, ce qui n’est jamais le cas . Le nouvel être humain est unique et donc irremplaçable. Le terme

« reproductif » suggère l’interchangeabilité et contribue à banaliser l’avortement (« vous aurez votre enfant une autre fois ») . – Ou serait-ce déjà une anticipation sémantique pour inclure dans la « reproduction » le clonage (pour lequel le terme serait sans doute correct) ?

Dans la nomenclature médicale, l’avortement médicamenteux relève au Luxembourg de l’échographie (code 6A72 : « évacuation d’un utérus gravide par hystérotomie ou par procédé médicamenteux »), et l’avortement chirurgical du curetage (code 6A71 :

« évacuation d’un utérus gravide par curetage ou aspiration avant 14 semaines de grossesse »). Remarquez que les mots curetage et aspiration font partie du champ

sémantique de la propreté et du soin (cura), alors que le mot « évacuation » peut renvoyer à une mise en sécurité.

En Allemagne, les gynécologues qui pratiquent l’avortement appellent pudiquement l’embryon ou le fœtus avorté « die Schwangerschaft », confondant ainsi le petit être humain avec l’état dans lequel se trouve la femme qui l’a porté.

Le résultat final est associé à une notion à connotation généralement positive : Solution. Dès les années 1970 on a systématiquement utilisé ce terme, par exemple dans

« Indikationslösung » ou « Fristenlösung ». Dans l’imaginaire construit par ce mot mille fois répété, le débarras du petit être humain finit par être perçu comme un dénouement satisfaisant.

Pour mieux passer l’éponge, le Ministère de la santé luxembourgeois évite de dresser des statistiques précises.

Contrairement aux soins médicaux dont bénéficie une femme enceinte qui garde l’enfant, remboursés en grande partie par la sécurité sociale (terme tellement rassurant), l’IVG est remboursée à 100 %, autre façon symbolique pour n’en laisser aucune trace, fût-elle de nature pécuniaire.

Dans la stratégie sémantique du féminisme radical, le public est obnubilé par l’expression

« pro-choice » qui doit remplacer celle de « pro-abortion ». Qui ne voudrait pas avoir le droit choisir entre deux ou plusieurs options ? C’est un gage de liberté et du pouvoir de garder soi- même le contrôle d’une situation. L’expression est donc positive et consensuelle. En vérité, il s’agit du choix entre laisser vivre ou tuer quelqu’un d’autre. Le slogan « my body my

choice » passe sous silence l’existence d’un autre corps tout aussi vivant. « I am a child, not a choice » est un slogan pro-vie certes rhétorique, mais fondé sur la vérité.

Les tentatives politiques de réduire au silence les organisations qui encouragent les femmes enceintes en difficulté indiquent qu’en réalité, on fait tout pour éviter à la femme de peser le pour et le contre avant de prendre sa décision. C’est tout le sens de l’abolition de la deuxième consultation psycho-sociale au Luxembourg (2014), et probablement en Allemagne dans un futur proche. Un choix éclairé n’est pas souhaité, et le délai de réflexion est de plus en plus réduit.

Le grand sociologue Marshall McLuhan a eu une belle trouvaille grâce à une faute de frappe de sa secrétaire: « massage » au lieu de « message ». Il s’est aussitôt écrié: “The message is a massage in mass age which is also a mess age”. Les masses subissent un massage de cerveau pour gober un message issu de la confusion, du désordre (mess) et d’un renversement des valeurs. On pleure les poussins détruits et on applaudit au droit de tuer les petits humains.

A force de matraquer l’expression du « droit à l’avortement » comme celui de « solution », les gens finissent par la graver dans leur esprit et d’y adhérer sans trop y réfléchir.

Si donc nous voulons lutter pour une culture de la vie en vérité, nous ferons bien de ne pas répéter les euphémismes, les demi-vérités et les contre-vérités assénés par les médias, mais d’appeler un chat un chat, et de recourir scrupuleusement aux guillemets.

André Grosbusch, président de « Vie Naissante »